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Crise de la pensée



La philosophie ne se nourrit pas du monde que par l’analyse critique, elle contient en elle ce geste créateur qui la rend proche de toute forme de geste créateur, et les nourritures qu’elle s’octroie lui sont aussi de la matière brute, source d’inspiration, source d’énergie à perdurer dans son mouvement, un philosophe qui s’isolerait dans le seul sillon de sa recherche sans se nourrir de l’autre ne saurait exercer son esprit critique et son aspiration à l’innovation, ou au repositionnement des grandes questions humaines dans le contexte de leur actualité.
La crise du sens de la philosophie comme crise de la philosophie elle-même.
Le moment où la philosophie devient création pure, ce moment où l’on cesse de penser penser pour s’apercevoir que si la pensée ne se fait pas en soi, rien ne se passe.
Le philosophe dit-on creuse un sillon qu’il suit, ou précède, je ne sais trop. Certains creusent des contenus, des connaissances qui sont sans cesse à refonder, si ce n’est pour les rendre actuelles, du moins pour les rendre légitimes, et faire ainsi s’avancer la compréhension humaine.
D’autres creusent le langage, comme un acte poétique pure, auquel on ne dénie pas le titre de philosophie car de la pensée s’y dit, puisque la pensée se fait où se fait créateur le langage.
D’autres encore creusent la crise, comme ce cri, disait Max Loreau où se dit toute la déchirure du réel, cette différance, comme ce qui profondément diffère disait Derrida.
La divergence.
Comment se fait une pensée philosophique, on ne le sait pas comme une évidence, comme beaucoup de gestes créateurs, elle demeure dans l’ignorance de ce qui la fonde, mais il s’agit toujours d’une question, une question demeurée impensée, jusqu’à l’achèvement de la réflexion qui vient en donner le sens et la teneur, parfois… Pas toujours. Et dans le temps de la réflexion, elle se tient debout devant soi, invisible dans l’horizon clair qui la dissimule au regard du penseur, comme sans doute une obsession insue.
Denise Desautels (poète canadienne) me disait un jour, « prends soin et cultives tes obsessions, ce sont elles qui te feront écrire », sage, et obscur conseil, difficile à tenir sans s’abîmer soi-même.
Le travail du philosophe serait alors de transformer une obsession en un regard réfléchi qui change quelques choses du monde.
Combien de questions inapparentes agissent le penseur, et de quelle manière ce n’est pas avec méthode que l’on traite de la question, mais la question qui produit sa propre méthode par le chemin pris pour ne serait-ce que la contempler. Méthode et question cheminent et se construisent de concert d’une manière nécessaire, de façon à ce que l’une rende l’autre nécessaire d’une manière transitive.
Et la méthode ne s’élabore presque pas, elle se donne d’emblée dans le cadre du développement de ce qui entre en jeu dans la réflexion, la méthode est le chemin pris par la pensée pour se déployer, ainsi, elle ne peut être analysée qu’a posteriori, et rarement par le philosophe lui-même, qu’une autre question déjà retient, et loin l’emmène sur d’autres chemins.
Ce qui n’en demeure pas moins le mieux partagé par les philosophes, c’est cette crise, une crise qui survient chez tous, qu’en général on nomme pudiquement un tournant de la pensée, où que l’on différencie en discriminant une première d’une seconde, voire d’une troisième pensée chez tel philosophe, si les crises de sens se multiplient.
Ces crises sont le gage d’une pensée qui avance, et ne stagne pas, car l’écueil qui rôde autour du penseur est la répétition du même de réflexion en réflexion, l’arrêt, l’absence de crise, en réalité, qui ne vient pas nous dire comme un autre, là, la pensée s’est tarie, la crise du philosophe est toujours la crise et la mise en abîme de sa propre pensée ainsi que de son utilité.
L’utilité de la philosophie existe, pour soi, pour l’autre, ou pour tout autre que cette forme singulière de penser pourrait transformer, ou, à tout le moins éclairer une parcelle du terrain fécond de notre lecture du monde.
La crise est toujours une crise d’utilité, qui ne se nomme pas comme telle, mais qui est là, fait sens, et bifurquer le sillon vers un tout autre chemin.
ALG

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