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Position de travail de recherche préalable: Les psychoses spirituelles

Ma thèse de philosophie intitulée « Expression poétique et genèse de la rationalité dans le texte biblique, en Genèse et Exode, d’après les sources juives » a été publiée par les Éditions Ovadia, collection Chemins de pensée, en 2016 sous le titre Poétique de la raison biblique. Elle faisait suite à un travail de recherche sur le vide : esthétique, aïsthésie et épistémologie du concept de vide, dans les arts, les sciences et la philosophie, publié sous le titre Les miroirs de l’être, trois études sur le vide, en 2019, par les mêmes éditions, dans la même collection.

Le travail que je souhaite effectuer actuellement est le prolongement de cette thèse qui formait un ensemble cohérent mais qui est restée inachevée, dans la mesure où toute la partie métapsychologie fut laissée de côté, pour des raisons évidentes de cohérence interne à la thèse. Néanmoins dans cette thèse je décris le modèle de l’évolution de la rationalité pour un individu et pour l’humanité, telle que pensée par le texte ; j’y décris le modèle des psychismes pensés par la Torah, qui sont aussi des ensembles théoriques relatifs à l’évolution intellectuelle de l’être humain, et je décris dans le même temps l’évolution spirituelle informée par la tradition juive, qui est par le fait même inextricablement liée à l’émergence de la rationalité et à l’élaboration psychique, dans ce qui forme une psychologie des profondeurs, que l’on pourrait tout à fait comparer à celles élaborées par le Véda et le Yoga, mais aussi le bouddhisme, le taoïsme, ce qui formait l’un des aspects de mon travail sur le vide. 

Le fait spirituel, entendu sous sa forme de folklore occidental, mais aussi sous sa forme de science de l’esprit liée à des pratiques (méditation, tai chi, yoga, prière, chant, danse, etc.) et des corpus spirituels (textes sacrés, textes fondateurs, commentaires, etc.), est souvent considéré comme l’un des objets de la psychanalyse et de la philosophie, mais fut envisagé, par les anciens textes spirituels fondamentaux, comme une part de leur propre développement. Dans ce contexte, la philosophie et la psychologie des profondeurs, pour reprendre le terme de Tobie Nathan, ont élaboré des méthodes de cure et de résilience, liées aux problèmes convoqués par la démarche spirituelle, d’une manière très aboutie dans toutes les spiritualités connues, et qui font aujourd’hui l’objet d’études scientifiques enrichissantes pour la psychanalyse et la psychologie occidentales.

Dans ce contexte, mon projet de recherche est de réfléchir à une différentiation encore rarement faite entre les pseudo-psychoses ou psychoses spirituelles et les schizophrénies, si l’on considère les désordres parfois liés à la spiritualité comme des psychoses qui sont toutes pour l’instant comprises sous le terme valise « schizophrénies », mais qui en diffèrent largement lorsque l’on s’avise que ces psychoses, au sens strict de maladie du psychisme, procèdent de l’évolution spirituelle de la personne et sont résiliables en tant que psychoses, ce que le texte torahnique évoque sous la figure de Job, existe aussi dans les autres traditions : la confrontation du chaman à la mort et à la folie pour dominer le monde invisible, ou les longs traités yogiques qui font mention de la dangerosité de certaines facultés spirituelles lorsqu’elles apparaissent, tant d’un point de vue éthique que d’un point de vue cognitif, ou encore le bouddhisme qui utilise, comme les autres traditions, la méditation et les pratiques corporelles afin de limiter et anéantir les désordres psychiques liés à la spiritualité. 

Ceci pose l’enjeu décisif de la distinction entre les schizophrénies et les psychoses spirituelles, et l’habitude prise par l’Occident de penser que toute voix entendue dans l’esprit est conçue par l’esprit même, qui les créent, oblitérant ainsi toutes les traditions spirituelles qui font mention de ces voix, et elles le font toutes, comme messagers, dieux, et autres esprits, ce qui différencie pratiquement la schizophrénie de la psychose spirituelle, sans pour autant permettre une distinction théorique clairement observable, dans la mesure où l’expérience de l’entente de voix est singulière, unique et interne, ce type d’information et d’expérience étant considérée comme non partageable par la profession.

Il est important de faire la distinction entre la spiritualité, qui relève de la vie de l’esprit, et, dans ce sens, le fait religieux, qui est un fait de croyance, fondé dans une ritualité et une obédience essentielle, et ne forme pas le nœud de mon intérêt pour ce type d’expérimentation spirituelle, mais leur compétence dans le soin de ces troubles spirituels devrait pouvoir fonder une approche laïque de la résilience spirituelle.

Dans toutes les traditions de l’éveil ou de la délivrance, on pose au préalable un combat interne entre soi et une forme d’adversité que l’on va nommer daïmon, démon, diable, mara, djinns, belial, shaïtan, mauvais esprit, etc. Cette représentation forme le nœud d’une adversité présente pour occasionner l’éveil en détruisant tous les obstacles qui se situe sur la route de celui qui recherche la vérité, la délivrance, la libération et autres vocables pour désigner l’éveil. 

Parallèlement à cela, toutes les traditions font mention de visions et d’auditions qui forment aussi obstacles à cette libération, et sont occasionnés par l’activation de l’œil et de l’oreille spirituels ; et toutes elles font mention aussi de la folie inhérente et possible que devra traverser le chercheur de vérité. Ce sont ces trois facteurs, qui posés ensemble forment une sorte d’aliénation mentale, qui dans la tradition occidentale va être nommée schizophrénie, tandis qu’il s’agit bien plus certainement d’une psychose spirituelle dont les traditions connaissent l’existence et qui sont toutes liées à l’activation de sens spirituels. 

Il existe deux manières d’appréhender ces sens spirituels, lorsqu’ils se font jour chez une personne, la première est intellectuelle, et alors on parlera de facultés psychiques, la seconde est relative à l’esprit, et on parlera de facultés spirituelles. Entre les deux, la différence est abyssale : d’une part ces facultés seront traitées par l’intellect, qui n’est pas armé pour faire face à ce genre de facultés, et seront fonction d’un trauma de trop, dans lesquels on compte la maladie, le deuil, la folie, la mort imminente, d’autre part, elles seront traitées par un esprit apte à le faire, et seront alors maîtrisées et souvent abandonnées pour atteindre à l’éveil, et elles ne seront pas liées à un trauma mais à l’activation naturelle des sens spirituels. 

Il arrive que les pratiques spirituelles, non guidées par des personnes compétentes, ou tout simplement un trauma de trop fassent apparaître ces facultés, de manière spontanée, et anarchique et provoquent un chaos interne voire même l’effondrement du psychisme, lequel ne sera plus apte à faire face à l’adversité dont nous parlions, et qui se verront diagnostiquer une schizophrénie, faute de connaissance de ce type de démence psychique en Occident. 

Dans la pratique, ces personnes ne recevront aucune aide spirituelle, ils seront traités comme le sont tous les schizophrènes, mais la spécificité de leur pathologie ne sera pas discernée, et les soins ne seront pas adaptés au fait spirituel. 

Les religions et les traditions spirituelles possèdent toutes les moyens de traiter ces psychoses spirituelles, mais la psychologie et la psychiatrie occidentales font rarement appel aux corpus de compétences et de savoirs de ces traditions, pour comprendre et traiter ces formes de psychoses. 

Tout l’enjeu est donc de comprendre de quelle manière les traditions font face aux facultés spirituelles et psychiques, et de quelle façons elles remédient à toute forme d’aliénation, pour proposer dans le domaine de la psychologie et de la psychiatrie occidentales des clés de compréhension et des thérapeutiques adaptées à ce fait spirituel que forme ce que de nombreuses traditions considèrent comme étant la folie de dieu.  

La psychose est réputée inaliénable, mais l’est-elle réellement, il semble que l’une des spécificités des psychoses spirituelles soient précisément la guérison comme un horizon tangible. Alors qu’est-ce que cette folie spirituelle, dont nous retrouvons trace dans toutes les traditions, en quoi consiste t’elle, pourquoi est-elle, toutes ces questions sont essentielles à l’élaboration d’une typologie de la psychose spirituelle, et c’est pourquoi les traditions et les parcours de l’éveil, la psychologie des profondeurs et les pratiques spirituelles ne peuvent pas être étudiées par la psychologie seulement comme un objet, mais aussi comme des théories de la connaissance complémentaires et complémentantes de la psychologie occidentale. 

De quelle manière ces théories de la connaissance du psychisme humain peuvent devenir des clés de compréhension d’une certaine forme de folie pour nous ne peut plus être laissé de côté, dans un monde occidental où nous sommes de plus en plus confrontés à ce type de désordre psychiques et spirituels. 


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