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La main de l'oeil

Ce qui dans le regard touche le monde à l’œuvre.

Narrer une œuvre d’art pour une personne qui ne voit pas est une expérience de la perception merveilleuse, elle requiert de regarder l’œuvre avec des doigts au bout des yeux, tandis que rarement le droit nous est donné d’y toucher. Mais comme on y touche par la caresse d’un regard, lorsqu’il s’agit de l’évoquer avec assez de subtilité pour en transmettre le goût à l’autre.
Ce que l’œil voit la main le voit aussi, quelle joie de pouvoir toucher une œuvre, son grain, sa peau, sa texture, l’éclat de sa couleur, et les fines marques du temps.
Ayant eu à voir, et écouter un Mondrian de près, ce qui m’a saisi au premier chef fut les fines craquelures qui striaient la toile de part en part, faisant que le géométrique ne l’était plus, ni le blanc non plus, par un surcroît de linéaments noirs qui en brisaient la teinte.
Raconter la vieillesse d’une toile, conter ses rides et ses sillons, tout en donnant à voir l’intention première de l’artiste, qui ici est comme un espace pour que la pensée se fasse.
Alors je m’imagine toucher l’autoportrait de Zoran Music, qui pour moi est la figure même la plus originelle du penseur, plus proche de la réalité que celle, apollinienne de Rodin. Il y a une déchirure en la pensée que cette toile retransmet de manière immédiate, sans détour, et toucher à cette toile, comme mon regard a caressé les œuvres pour autrui.
J’imagine les premiers pas de l’éveil de la pensée, hésitante encore de s’être quelque peu absentée, la main qui soutient le menton viendrait se poser sur le genou, tandis que l’autre monterait se placer devant le buste, en un geste balbutiant, comme saisi du pinceau ou du stylo, puis se suspendre, encore, et revenir sur le genou, le geste juste posé.
Rugueux, ou lisse?
Sait-on ce que pense cet homme, on l’imagine pris en une rêverie sombre et solitaire, faite d’ombre, faite de l’impensé qui encore se refuse à la nomination, une énigme que l’on ne voit pas, mais que l’on sent fort à la racine des reins, là où se fait sentir la douleur de toute souffrance.
Que pensons-nous face à lui pensant.
Voir ce que l’on regarde est éreintant, le narrer, une gageure pour le corps qui est tout inscrit dans la démarche de transmission de l’esprit même d’une œuvre, entre description et interprétation.
De la charge du regard tout le corps engagé dans le mouvement s’épuise et je n'ai pu soutenir une exposition entière, ce qui demeure, tout ce qui n’a pas même été regardé, faute de le pouvoir reste dans le souvenir comme le trésor perdu qu’une telle rencontre a fait jaillir en soi.
Comme les traces persistantes d’un possible écarté, car s’il n’était pas possible d’y toucher, alors il n’était pas non plus possible de les voir, et les voir tout de même, sans souvenance aucune.
Ce que l’on ressent, c’est qu’à trop voir l’on devient aveugle, et qu’à ne rien voir, on y voit mieux, autrement, dans la paisible lenteur d’un temps que l’on se donne pour que la relation entre l’œuvre et soi opère et révèle toute son énigme.

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