Extrait des Cahiers de l'incarnat:
La danse est une
conception, et le danseur, une construction. L’espace du danser est cet espace
où ce que l’’humain est en capacité de penser du monde devient le monde
lui-même, à travers une parole portée par son corps. La danse est une
méta-pensée du corps, une pensée incarnée sur la pensée même du corps. La
construction du danseur tient en cela, se construire soi-même comme espace
propre à incarner la pensée du corps, ses affects, ses émotions, ses
réflexions, et bien sûr, si Nikolais avait raison de dire qu’il ne faut pas
l’être soi-même mais l’incarner, comme un rôle de théâtre dansé, il faut cependant
y croire et le devenir suffisamment pour que cela fasse sens pour autrui, et
qu’on y reconnaisse le sens donné au mouvement.
Il y a les danses
qui ne dansent pas, celles qui dansent, ou se dansent, mais il y a aussi les
danses qui dansent la danse, comme une réflexion de la danse sur elle-même, et
c’est là que la danse entre de plein droit dans le chant de la philosophie,
comme l’incarnation d’une réflexion construite sur le corps, sur la danse, sur
le danseur, ce n’est plus l’écrit qui vient réfléchir sur elle, mais la danse
elle-même qui se pense comme danse, et comme mouvement doté de sens. Cette
donation du sens, que l’on retrouve chez Pina Bausch, et qui est bien moins de
la danse-théâtre que de la danse-philosophie, nous ramène au sens donné à ce
type de philosophie particulier qui engage tout le corps et la vie dans sa
propre pratique, non comme un art du questionnement mais comme un art de
l’accueil en soi de la conception par le corps de son esprit. Comme une
philosophie qui inverse la proposition, ce n’est pas encore l’esprit qui pense
le corps, mais le corps qui pense sa manière propre de penser en esprit.
Ce n’est pas la
danse, mais le fait même de danser qui forme le penser incarné. Et c’est en
étudiant la manière dont le danser se donne que l’on peut parvenir à lire à
même le corps son mode particulier de penser et sa conception du monde, mêlée à
celle du chorégraphe, ou n’étant que celle du chorégraphe, dans certains cas.
Alors il ne s’agit plus de la philosophie de la danse, mais du danser lui-même
qui livre sa pensée, que l’on voit, que l’on entend, et que l’on peut
questionner. La danse est toujours l’expression d’une pensée pour trouver sa
force à être, même si en même temps elle ne doit pas être expressive, pour ne
rien perdre en elle de ce qu’elle a de vivant, d’incarné.
La danse, comme le
concept n’est opérant qu’à être vivant, libre, et quand bien même cette liberté
s’acquière dans de multiples contraintes et par une vraie technique. Kontakthof, c’est dans cette pièce de Pina Bausch que l’on
ressent le mieux ce qu’il faut entendre par méta-danse, une conception dansée
de la danse elle-même. Sous ses trois versions successives, c’est toujours la
même danse, la même réflexion : une étude raisonnée de la danse par son
incarnation, et à chaque fois le sens diffère.
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