La Justice est ce seuil qui ouvre sur sa destinée l’existence du vivant. C’est par le juste que commence à se donner une définition d’une attitude éthique et d’une actualité non seulement de la justice mais surtout de la justesse, cette justesse est l’attitude que doive observer toute personne qui voudrait commencer à comprendre le référentiel de l’être-humain, c’est-à-dire de l’être sur un mode humain. Elle implique alors aussi la notion d’humilité, cette humilité que nous définissons comme juste : se tenir à son lieu, connaître et soutenir son lieu, son lieu signifiant ce que l’on est. Savoir ce que l’on est, c’est d’abord cela qui est juste.
Mais
en tant que premier seuil, la justice indique aussi une révolution, un
changement radical qui permet une profonde conversion du regard. Le changement
est une notion fondamentale de cette notion, il s’agit toujours de se
transformer, quand ce que nous étions selon notre mesure propre devient ce que
nous sommes à la mesure de l’humanité, puis à la mesure de l’absolu, il y a
alors un changement radical du regard que nous pouvons porter sur nous-mêmes.
La
justice, qui pose en question le bien et le mal selon nous, ne se définit au
niveau absolu ni par le bien ni par le mal, mais c’est au contraire le juste
comme préalable à tout bien et à tout mal qui va venir définir ces derniers et
auquel ces derniers vont devoir se subsumer. Le bien comme le mal n’existent
que pour nous. La justice selon nous se définit par la justesse : est
juste ce qui est conforme dans son ensemble à un idéal de justice universelle,
qui ne soit idéalement pas valable uniquement pour l’humanité mais pour tous, universellement. La justice existe comme
justesse pour contraindre le mal, et produire du bien.
L’acte
juste, la pensée juste, la parole juste, se déclinent dans notre réalité sous
les effets de ce que nous nommons bien ou mal, vrai ou faux, sentiment de
justice ou sentiment d’injustice, parce que nous avons besoin de discriminer
les uns des autres afin de produire une action, une pensée, une parole, des
valeurs qui soient éthiques, et d’engager les êtres humains sur la voie d’une
humanité éthique et qui aspire à un idéal de justesse, ce qui correspond dans
le domaine de la justice et selon nous à la conformité de nos actes et de nos
pensées au droit que nous nous donnons, entre autres, selon un idéal qui est
défini aussi par les concept d’humanité et d’humanisme.
Dans
l’ordre absolu des choses, non pas pour le droit mais dans l’esprit de la loi,
ce peuvent être tout autant les lois de régulation et d’équilibre des
phénomènes, que les lois présidant à toute forme de réalisation, mais jamais ce
ne pourra être quelque chose de l’ordre de la morale ou de la vertu, qui ne
sont que faits de croyances : il s’agira toujours de l’équité et de
l’éthique tel que nous les entendons nous-mêmes.
Les
maux que nous créons sont les maux qui sont et ne sauraient être autres, et
comme le propose Hannah Arendt, c’est le mal absolu qui définit l’absoluité du
mal, pour nous, y compris lorsqu’il est considéré a posteriori.
Si
certains courants de la pensée hébraïque émettent l’idée que le plus grand mal
pour nous pourrait s’avérer être un bien pour Dieu, et que nous ne savons pas,
les maux dont souffre le vivant, et que le vivant se fait subir à lui-même, ne
sauraient être un bien, ni a priori,
ni a posteriori. En ce qui nous
concerne, a posteriori, nous
pourrions constater que si les conséquences de la shoah furent sans doute de bâtir les droits de l’humain au niveau
international et les libertés fondamentales, et de penser les notions majeures
et essentielles de génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, etc.,
conséquences qui furent un grand bien pour l’humanité, pour autant cela ne
saurait, ni ne peut, ni ne pourra jamais, en aucun cas, ni à nos yeux propres,
ni au regard de l’autre, ni justifier, ni légitimer, ni même simplement rendre
admissible ce que Hannah Arendt a justement nommé le mal absolu, et son
corollaire la banalité du mal, auquel malheureusement l’humain ne s’accoutume
que trop bien.
J’ai
malheureusement l’impression que nous sommes passés de la banalité du mal à la
normalité du mal, entre temps. Ce n’est pas tant que l’on considèrerait
certaines formes de maux comme étant devenus acceptables, tolérables voire même
nécessaires, mais bien plutôt que l’on considèrerait certaines formes de maux
comme normaux, ou normatifs, ce qui reviendrait à dire, en fait, qu’on ne les
percevrait plus comme tels, maux, mais comme une chose encore non pensée, ou
devenue impensée, et en tous les cas normale, voire naturelle.
En
d’autres termes, ces maux serait devenus si banals qu’invisibles, et
insignifiants, et que nous ne les percevrions plus comme tels, là où ils
commencent, dans nos actes, dans nos valorisations du monde et nos pensées, nos
paroles, et qu’ils se manifesteraient sans qu’on en prenne conscience dans les
choses les plus ténues de la vie quotidienne, ou les mots pour les dire, qui le
plus souvent sont usités dans une ignorance devenue quasi totale de leurs
origines discriminatoires, péjoratives, ou seulement malsaines.
Quand
les termes discriminatoires, par exemple, sont devenus si naturels qu’ils
émergent ensuite dans le langage naturel, comme des mots normaux, sans
qu’aucune valeur discriminatoire n’y soit perçue comme telle, tandis qu’elle
existe bel et bien dans l’étymologie et dans la formation même du terme.
L’usage que nous faisons du langage devient alors la voie d’une discrimination
ou d’une haine, ou encore d’un sentiment de supériorité qui ne se nomment pas comme
tels parce qu’ils ne se pensent plus comme tels, et qui véhiculent des maux
dont la conscience ordinaire elle-même n’a plus conscience. C’est de cette
manière que des maux, sous leur forme la plus banale, s’invitent dans la norme,
comme d’une chose à laquelle on s’est tant et tant accoutumée, qu’elle est
devenue naturelle et normative.
Il
se produit alors un phénomène bien connu, la négation du mal, qui n’est pas une
négation historique, mais une négation éthique et philosophique. La banalité du
mal induit la normalité du mal, qui implique souvent soit la négation de
l’impensé, soit une forme de trou conceptuel et théorique, qui nous laisse sans
langage et donc nous oblige donc à le rebâtir autrement, dans une perspective
éthique.
Dans
le langage et dans le monde, dans l’acte, dans la pensée, et dans la parole,
tout tend à produire du concept qui implicitement accepte ces maux, sous le
prétexte de les constater, mais qui se faisant les reconduit, ainsi, par
exemple la « discrimination positive » qui reconduit bien la
discrimination, voire, l’approuve tacitement, et, presque, la rendrait
légitime.
Ce
qu’elle n’est pas, parce qu’elle fait une
différence non justifiable là où il y a
de la différence légitime. La
différence légitime pour tous et pour chacun ne pourra jamais justifier que
l’on fasse une différence, ne
serait-ce que dans le langage, ou dans la pensée, dans la valeur, dans l’acte,
pour les unes ou pour les autres de toutes nos différences légitimes, parce
qu’alors et aussi, c’est le droit à la différence qui se transforme en la
sommation de nommer, définir et justifier sociétalement de sa différence
propre, mais aucune différence légitime et naturelle ne peut se voir contrainte
par l’obligation morale ou sociétale d’en rendre compte et d’en justifier
publiquement.
Le
droit à la différence inclut en lui tout autant le droit à l’anonymat, si c’est
possible, que le caractère de privauté des différences, mais aussi le droit à
ne pas être différencié et stigmatisé selon sa différence propre, ni à devoir la
justifier sociétalement, et le droit à l’égalité humaine et citoyenne par
nature et par droit quelque soit sa différence. La discrimination positive
comme remède à la discrimination dite négative ne revient qu’à une seule
chose : obliger les personnes concernées à s’auto-discriminer elles-mêmes
selon leur différence, ce qui revient directement au même qu’une discrimination
dite négative, et se résume en une seule chose, il n’y a pas de discrimination
positive, parce qu’obliger son autre à s’auto-discriminer lui-même pour ne pas devoir
être discriminé par l’autre est la pire des discriminations, et elle est
devenue normative, il y a en sus dans ce phénomène une perte conséquente de
libertés fondamentales et démocratiques à être selon son mode propre, et selon
son mode privé.
L’immense
problème qui faisait déjà l’objet d’une réflexion dans les textes très anciens
de l’humanité, se situe dans le fait que les maux sont toujours pensés et
conceptualisés a posteriori, et aussi
justiciés a posteriori, quand
finalement il est déjà trop tard et que le mal est déjà fait, parce que nous
n’avons pas encore inventé les concepts qui pourraient rendre impossibles ou
justiciables a priori ces maux, sous
la forme que nous qualifions telle, ou du moins leur arrêt bien avant que les
morts ne s’amoncellent dans notre paysage, et devant nos portes. Et ceci forme
un vrai problème, faut-il vraiment attendre, comme nous le faisons, que les
génocides et les guerres soient jugés « finis » pour établir des
responsabilités, statuer sur la réalité de génocides que nous avons constatés,
dès le départ, ou encore sur la justiciabilité des crimes de guerre ?
Comment
y mettre un terme dès que nous les constatons, ou dès que nous en constatons
l’intention avérée, sans contrevenir au droit nous-mêmes ? Pourrions-nous
encadrer juridiquement et conceptuellement ces maux et produire des concepts
juridiques et philosophiques a priori
pour que tout génocide, crime de guerre ou crime contre l’humanité soit, sinon a priori, du moins in vivo, in situ, et in petto, dès leur apparition même donc,
immédiatement et possiblement justiciables devant la loi et le droit
international ?
Les
problèmes majeurs face à cette question résident dans l’avération du constat
d’une intention en voie d’accomplissement, et dans l’avération juridique d’une
intention, discriminatoire, génocidaire, haineuse, ou encore autre, qui ne vont
pas si simplement pouvoir être formalisés, et qui, s’ils étaient mal
conceptualisés, pourraient occasionner plus de dérives qu’autre chose, quand le
droit ne constitue plus la force, mais que la force s’attribue du droit pour
créer du non droit, ingérences ou prises de pouvoir abusives, sur des êtres,
des communautés, des peuples ou des tranches de population. Le risque majeur
étant l’usage du concept d’intention avérée de génocide, de discrimination, ou
de violences de tout types, comme d’un argument juridique pour produire le
génocide, la discrimination, le crime, dont on avait l’intention préalable, ou
pire encore pour engager à la disparition des systèmes démocratiques et des
droits et libertés fondamentaux, par exemple. Ceci étant, il y a bien dans,
certaines pratiques, des intentions avérées, qui peuvent être justiciables par
la loi et le droit.
Comment
procéder pour que ce droit, à penser d’urgence, ne soit pas une zone franche de
non droit ? Comment porter ensemble la nécessité du droit des peuples et
des êtres humains à disposer d’eux-mêmes, et la nécessité de la non-ingérence
lorsque l’ingérence s’avère abusive, la nécessité de la contrainte juridique
face à toute forme d’abus de puissance, et encore la nécessaire assistance à
peuples ou communautés en danger, la nécessaire prévention des génocides, des
crimes contre l’humanité ou des guerres de pouvoirs faites au détriment des peuples,
et à la nécessité urgente encore de la défense des peuples sans défense contre
nous-mêmes, et contre d’autres ?
Pourrait-on
envisager la formation de juristes internationaux de terrain qui, allant
précisément sur le terrain, proposeraient assistance, conseil et protection
juridique gracieuse de sorte que les populations concernées aient la
possibilité d’un recours juridique immédiat et efficient ? Une sorte de
droit international de proximité ?
Ni
le bien ni le mal n’ont de sens autrement que le bien et le mal que nous,
l’humanité, le vivant, nous nous faisons endurer à nous-mêmes et aux autres. Ce
bien et ce mal existent dans leur propre manifestation comme d’une chose qui
définit profondément l’humanité, dans l’histoire du mythe biblique, et de bien
d’autres mythes fondateurs, c’est la capacité de discerner et de discriminer le
bien, défini a priori, du mal, défini
a posteriori, qui va permettre à
l’humain nouvellement conscient de sa condition de pouvoir accéder à la
connaissance dans ce qu’elle a de plus générale, ce qui rendra possible, et
l’action, et la pensée éthique, c’est donc un couple de notion qui nous fonde,
nous, notre conscience, notre humanité, notre condition de vivant, notre
évolution et notre réflexion.
La
justice doit se positionner au-delà de tout bien et de tout mal, comme ce qui
peut venir fonder une action et une pensée juste dans le monde. Et cette forme
de justice, cette valeur intrinsèque à l’humain est comme toutes les autres
valeurs à réaliser quatre fois, selon la pensée, selon la parole, selon la
valeur et selon l’action. Alors, penser la valeur, c’est réaliser l’unité de la
pensée, de la parole et de l’action, mais cette valeur n’est pas morale, elle
est profondément éthique.
Cette
valeur de justice est celle de penser, agir, et valoriser notre monde, selon
non pas seulement le bien ou le mal que nous pourrions faire, mais selon la
justesse de nos jugements, décisions, réflexions, actions, et leurs
conséquences médiates et/ou immédiates, pour qualifier les termes mêmes de biens
ou de maux, et l’ensemble de nos actions a
priori, car nous ne devrions plus en être, en matière de droit de
l’humanité, ou de droit à l’humanité, à l’aube de cette humanité qui apprenait
encore à définir le mal, le bien, le juste, l’injuste…
La
justice, selon nous, suppose aussi comme le dit Socrate lui-même
« Connais-toi toi-même » c’est-à-dire aussi « Connais de
toi tout le dos, ce que tu ne vois pas, n’entends pas, ne ressens pas de
toi. » Ceci vaut pour l’individu, mais aussi pour l’humanité, imaginons un
observateur, assidu à regarder évoluer l’espèce humaine, quel spectacle
désastreux offririons-nous à ce regard de l’autre ?
Guerres
de pouvoirs et de puissance, génocides physiques et psychiques, tortures,
viols, crimes de tous types contre l’humanité, intentions avérées de génocides,
misoxénies, xénophobies, ségrégations, discriminations criminalisant des
différences, sans raison aucune, ni aucune légitimité au regard de la vie,
ainsi les sexualités, le handicap, la folie, le cheveu orange, la couleur de la
peau, toutes choses qui ne devraient faire
l’objet d’aucun témoignage de manque de considération et de manque de respect
ou encore d’absence d’estime au regard de l’humanité que nous sommes et de la
diversité des modalités d’être sur le mode humain que nous représentons tous et
chacun, et qui sont nos richesses, et n’attentent pas à la vie de l’autre, en
soi, mais que cependant nous ne supportons
pas au point de les criminaliser indûment. Cet observateur, que se
dit-il ?
« Pauvre
humanité qui souffre tant ».
La
souffrance est notre lot, car là où nous ne souffrons pas nous faisons souffrir
l’autre et l’autre nous fait souffrir là où lui-même ne souffre pas. Ainsi,
aussi, nous haïssons là où nous ne sommes pas haïs, et nous sommes haïs là où nous
ne haïssons pas, et nous discriminons là où nous ne sommes pas discriminés et
nous sommes discriminés là où nous ne discriminons pas, sans jamais sembler
pouvoir développer la capacité de percevoir la correspondance et l’identicité
des termes et de la souffrance, et de la haine, et de la discrimination, de
part et d’autre, ce qui peut conduire à des conséquences mortelles pour chacun.
Cette
condition humaine, existentielle, ne met pas en œuvre une valeur de justice
telle que nous pourrions l’espérer, elle pense le mal absolu ou la banalité du
mal, depuis Hannah Arendt, banalité qui se généralise à l’absolu, elle le
pense, mais elle ne s’éduque pas elle-même en fonction de cette valeur de
justesse qui nous est donnée, afin que d’elle nous retenions le juste et la
justice, dans nos actes, et nos pensées, dans notre langage, et dans tous les
domaines de notre vivre ensemble.
Car
la destinée des idées que nous avons ne nous concerne pas seulement comme indivis, mais aussi dans notre humanité
propre, l’humanité et son évolution, celle que nous forgeons nous-mêmes et qui
pourrait être un projet commun de l’humanité. C’est d’apprendre à chanter
ensemble l’être sur le mode humain, dans toute sa richesse et toute sa
diversité, sans jamais réduire à néant la richesse et la diversité de l’autre,
ou de soi-même, que nous désirons entendre, le doux chant de la différence
humaine dans son ensemble.
C’est
pourquoi la justesse est la première valeur que nous ayons à développer :
être juste, selon l’éthique. La vie et le flux d’existence sanctionnent
toujours le non juste, elles le rendent manifeste, et il est manifeste, pour le
vivant que nous sommes, que notre espèce ne vise pas encore le juste, mais vise
le mieux, et en l’occurrence le mieux-être, le bien-être, qui sont une forme
théorique corollaire du mal-être, visant à rendre inopérant ce dernier, et se
dénonçant soi-même comme conséquence d’un mal-être généralisé de et dans nos
sociétés.
Ainsi
là où nous devrions viser le juste, nous ne visons en réalité que le non-mal,
le non mal-être ou le non mal-faire. Le destin de l’humanité, s’il devenait
notre projet, ne viserait que l’idéal que nous conceptualisons encore sous le
vocable humanité, qui n’est pas un idéal moral, ni vertueux, mais un idéal
éthique, et tourné vers le juste.
Ainsi
aussi, ce que nous aurions à viser ne serait pas le bien-être, mais le juste
vivre ensemble, de sorte de réaliser l’humanité dans le même temps que
soi-même. Nous sommes dans une économie du bien-être, là où nous pourrions
construire une économie de l’être-juste, ce qui forgerait ce que nous
nommerions une révolution économique, un changement radical de paradigme,
visant le vivre ensemble et le juste-être, individuel et humain, une économie
non plus fondée sur la valeur, fondamentale pour nous, à l’heure du bien-être,
de la virtualité, mais sur la valeur, fondamentale pour tous, de l’être
manifeste.
Les
sociétés du bien-être laisseront la place un jour aux sociétés de l’être-juste.
C’est la justice, dans l’échange, - et non la monnaie d’échange -, qui seule
peut opérer ce changement de paradigme sociétal. Mais ce changement radical ne
vise pas et ne visera jamais le mieux-être, il ne vise que la réalisation de
l’être dans l’espèce et dans l’indivis.
Ceci
ne fonde qu’un programme idéal, ce type de programmes pour vivre ensemble
n’existe que pour permettre à une espèce d’évoluer ensemble au sein d’un
système organisé, qui doit devenir juste pour tous, à défaut de l’avoir été,
pensé, et créé a priori, afin que
chacun puisse réaliser ce qu’il est. Ce n’est pas une fin en soi, mais un moyen
d’atteindre à la compréhension du juste-lieu de l’humanité selon la conscience
humaine, et cette justesse n’est fondée ni sur le bien-être ni sur le
mieux-être, ni sur le mal-être, mais sur l’être juste.
Ce
qui est étrange, c’est qu’ici comme ailleurs, partout dans la tradition humaine
en réalité, nous nous gardons bien de définir en des termes clairs que nous
pourrions entendre par justice, bien, mal. Ce sont des valeurs pour le vivant,
l’existant et l’étant, et qui doivent être définies par le vivant, l’étant et
l’existant, chacun selon ses modalités propres, parce qu’en ce domaine comme
ailleurs, la réalisation de soi en passe toujours par la liberté de penser et
de se penser soi-même. Alors c’est, à nous, chacun, de signifier « ce qui
est juste », en fonction des besoins de tous, et inhérents à chaque être
humain ou vivant sur la terre.
C’est
la question de la vérité qui permet, entre autre, de poser la question de ce
qui est juste : ce qui est juste est ce qui est défini comme vérité et
authenticité, mais implique de connaître le sens absolu de la vérité et de
l’authenticité. Car est juste ce qui permet de réaliser la pensée que nous
sommes, nous devons viser l’authenticité si nous voulons atteindre le juste.
Être vrai, c’est être juste, il est donc primordial de savoir ce qu’être vrai
signifie si nous voulons comprendre ce qu’être juste signifie.
Le
bien et le mal sont des valeurs du vivant qui sont fonction de ce vivant, le
juste, lui est et demeure une valeur vraie, le bien n’est pas nécessairement le
juste, si le bien dérive d’une compréhension, erronée, de la valeur morale des
choses, laquelle, elle-même, serait issue d’une tradition de croyance relative
et fonction de celui qui la croit. Le bien et le mieux doivent aussi se
subsumer au juste s’ils veulent s’extraire du fait de croyance ou de savoir,
pour entrer de plein pied dans le champ de la connaissance et du vrai, de
l’authentique, de cette manière, seulement, peut être appréhendé le juste.
L’exigence
éthique, qui s’avance peu à peu, se donne à nos yeux propres et à notre
réflexion comme une nécessité. Les règles pour le vivre ensemble ne sont pas
elles-mêmes des interdits, ou des obligations dogmatiques, mais des règles dont
on éprouve la justesse pour réaliser le juste. Le juste est un lent
apprentissage qui ne laisse aucune place aux « bons » ou
« mauvais » sentiments. Le juste s’acquiert dans la prise en
considération et en connaissance des effets et des conséquences de tous nos
actes, valeurs, et pensées, paroles, y compris ceux qui forment notre dos, et
dont nous n’aurions pas conscience ou que nous n’aurions pas prévus.
La
justice est la valeur qui nous permet d’appréhender toutes les autres valeurs
dans un même ensemble et dans une même vision intuitive. Mais surtout elle
ouvre la porte à la compréhension de l’authenticité : la vérité de l’être
est l’authenticité, l’être de la vérité est l’être-juste. Et si les êtres
humains savaient qu’ils sont un chant, ils apprendraient à chanter, et à chanter
juste, et redonneraient en une seule et commune voix la polyphonie de toute
l’humanité.
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