La violence
faite aux femmes est un problème crucial de notre humanité, la violence
faite aux hommes l'est tout autant et celle envers les enfants non moins
cruciale. Mais la guerre des genres est une mauvaise réponse à une question mal
posée. La banalisation de la violence a rendu cette violence normale et
normative, à moins qu’elle ne l’ait toujours été. Mais cela touche à la
question plus profonde de la violence vécue par tous et qui conduit à l'auto
génocide de l'humanité par elle même. Se sentir violenté par une société en
perte de droits et de libertés, et dans laquelle on ne se reconnaît plus,
conduit à être violent soi-même dans une mesure que l'on ne reconnaît pas comme
violente au vu de sa banalité et de sa normalité.
Cela conduit
de plus grands maux à devenir tolérés. Le slogan féministe "la femme n'est
plus l'avenir de l'homme, qu'ils se démerdent" est une double violence
faite aux femmes et aux hommes et qui passe inaperçue, elle est tolérée. La
violence faite aux enfants, la violence faite aux hommes passent souvent
inaperçues pas uniquement pour une question d'indifférence généralisée pour
autrui, mais parce que c'est aussi une difficulté de reconnaître que des femmes
peuvent aussi être violentes dans un monde qui les exploitent, les torturent et
les tuent de trop. Mais ceci découle de la violence faite à l'humanité par
elle-même.
Il y a
peut-être en l'humain une certaine forme d'indifférence au sort de l'humanité
dans son ensemble. Si l'on parle de la vie et de la mort, tout le monde
apprécie, parce que c'est juste, vrai et que cela concerne tout le monde. Mais
si l'on parle des femmes, des hommes, des enfants en danger de mort tout autour
de la terre, les réactions possibles seront toutes autres, parce que les gens
penseraient à la culpabilité, à la bonne ou mauvaise conscience, à nos propres
problèmes, on ne pourrait visiblement se préoccuper des problèmes des autres
qu'après avoir résolu les nôtres propres, à la facilité supposée qu'il y a à
parler de la souffrance des autres quand on n'y est pas, et que l'on ne souffre
pas soi-même, au degré d'engagement que l'on a dans ce qui est dit et fait,
mais aussi, à la stupidité présupposée que l'on impose à celui qui se préoccupe
de certaines questions gênantes pour soi-même, et encore la capabilité d'acter
de celui qui parle en termes d'aide faite à l'autre, et toujours à la justesse
et à la raison qu'il y a justement à poser ces questions.
Dans
certains cas, c'est pire que de l'indifférence, c'est du rejet. Ce qui est
rejeté, la question sous-jacente du confort pour lequel nous nous battons
tandis que d'autres meurent de se battre pour avoir le droit d'exister. On ne
réalise pas que l'on s'est nous aussi battus pour exister en notre temps, pour créer
la paix et obtenir les droits que nous avons, et pour les conserver vifs.
Mais les
prises de position sont devenues collectives et non plus individuelles, si tous
les réseaux sociaux se mobilisent pour les peuples amazoniens en danger de
mort, en signant virtuellement des pétitions virtuelles, et en marchant dans
les rues (ce qui devient aussi très dangereux du fait du glissement des démocraties
vers un autoritarisme d'état qui se construit à feu doux depuis plus de 25 ans)
celui qui ne dira rien sera montré du doigt, mais si celui qui ne dit rien
prend position pour ces mêmes personnes, d'une manière personnelle, on le
montrera aussi du doigt comme celui qui nous renvoie à notre propre
indifférence. Ceux qui pourrait agir ne le font pas, et ceux qui souffrent de
la violence du monde humain ne le peuvent pas.
C'est la
nouvelle philosophie du on, de
l'anonymat issu de l'individualisme virtuel et dématérialisé, quand il sera à la
mode collective, tout le monde manifestera et prendra position contre les
violences faites à l'humanité par les êtres humains eux-mêmes, pas avant. Mais
la violence faite à l'être humain, où commence-t-elle, où s'arrête-elle? Il est
certes urgent de repenser la violence en soi, mais ni l'éducation ni même la
philosophie enseignée très tôt ne suffiraient, il faudrait sortir l'humanité
d'une violence qui l'a fondée depuis l'âge de pierre, et que depuis lors nous
tentons de domestiquer par le droit et la culture. Il faut transformer
l'appréhension du monde par l'humanité. Ce qui est assez rassurant, c'est que
lutter pour un droit ou une liberté engage une lutte sous-jacente pour tous les
autres, les autres personnes et les autres droits, libertés, mais aussi
devoirs, ainsi se définit un sens non pas seulement de la vie humaine mais
aussi pour l'humanité : le désir d'édifier l'horizon de l'humanité dans le
droit, la paix, la justice et la liberté.
Ceci se
confronte à la volonté de pouvoir de quelques uns contre tous, mais l'histoire
de l'humanité montre que, dans ce combat, c'est toujours tous qui restent et les sociétés non plus adaptées qui
disparaissent. Dans notre cas, nous sommes au bord de l'effondrement.
Mais on voit
aussi que pour toute civilisation qui s'effondre, la suivante se fonde sur les
acquis en droits et en libertés de celle d'avant, quand elles ont existé.
Cela dit les
droits de l'autre restent à penser continuellement, et notamment le droit à
vivre et exister dans la non violence. Cela requiert de débanaliser la violence
et de l'empêcher de devenir normative. Cela requiert de donner un idéal, un
esprit à l'humanité. L'éducation est essentielle et nécessaire, mais si ceux
qui la donnent n'ont ni éthique personnelle, ni aspirations humanistes,
l'éducation ne servira à rien, car les enfants sont plus sensibles à ce que
nous sommes et faisons, et bien moins à ce que nous disons... Et
malheureusement la philosophie de lycée, en France en tous les cas, est déjà de
l'ordre du formatage intellectuel. Il faut repenser la transmission,
l'éducation et la manière d'éduquer et d'élever nos enfants. Mais l'absence
d'élévation de l'enfant et l'entreprise en cours d'analphabétisation des
masses, qui se construisent depuis la fin de la seconde guerre mondiale, est
déjà une violence folle qui est faite aux enfants et à l'humanité.
La guerre
des genres n'aura pas lieu, j'espère... Mais il y a effectivement une mise en
guerre qui est préoccupante, et qui n'existait pas avec cette virulence-là
autour de 68 où les humains se battaient ensemble pour les droits des femmes.
Ici on a l'impression que la libération de l'une n'ira pas sans la domination de
l'autre, comme en effet miroir. Ce sont des guerres de pouvoir et non de
droits, d'où une forme de violence délétère dont il faut parler aussi. Mais
cela montre aussi une urgence liée à la perte des acquis de 45 à 80 pour les
femmes et partant pour les hommes, les enfants, et donc l'humanité elle-même.
Et se battre
pour garder ces acquis est légitime, mais ne doit pas faire oublier les droits
légitimes des autres. Et c'est peut être quand on cesse de se battre pour les
droits de l'autre que ses droits propres tendent à disparaître aussi,
puisqu'ils sont les mêmes, en termes d’éthique et de libertés fondamentales.
Même en ne radicalisant pas et en ne généralisant pas un slogan comme celui ci:
"le mâle humain est le seul à tuer sa femelle", on peut se dire que
la mante religieuse tue son mâle. Que le lion laisse sa femelle se battre pour
trouver de la nourriture et parfois mourir, pendant qu'il s'occupe de ses
petits.
La violence
est intrinsèque à la vie de notre planète, mais la dompter ne signifie pas la
stigmatiser chez l'autre cela signifie la dompter en soi. Nous sommes encore
tous des animaux en ce sens. Capables de cette violence dont nous sommes
conscients et que nous tentons de dompter par le droit, en revendiquant ce
droit avec aussi une certaine forme autre de violence. La non-violence est la
chose la plus difficile du monde à penser et à agir pour nous. Et l'acter l'est
encore plus. Mais elle est nécessaire.
A travers
ces slogans, nous sommes renvoyés du côté de la culture, la culture humaine
d'un côté et la culture animale de l'autre. "L'avenir de l'homme est la
femme" ne renvoie plus a Aragon lui-même, mais à un héritage culturel dont
on ignore souvent l'origine et dont on rejette le sens qui alors devient un
impensé, c'est une violence faite à notre propre origine humaine, genrée, mais
aussi culturelle et créatrice, on dénie alors la capacité créatrice de
l'humanité, quelque soit par ailleurs sa forme ; biologique, culturelle,
intellectuelle ou spirituelle.
Faut-il
savoir que cette pensée nous vient d'Aragon, non, personnellement je ne connais
pas l'œuvre d'Aragon, ni ne savais que cette sentence était de son cru, bien
que je sache l'avoir su un jour, non donc, sauf dans le cas où l'on l'utilise à
des fins de revendications sociétales, car alors rien ne doit rester impensé,
c'est pourquoi le lire est important. Mais cela renvoie aussi à la violence de
la culture, que l'on a ou non, ce que l'on sait où ce que l'on ne sait pas ou
plus...
Il y a là
une vraie violence culturelle : la culture qu'il faut avoir pour avoir l'air
cultivé, et donc faire partie d'une supposée élite culturelle, on aimera alors
la période cubiste de Picasso, sans aucune liberté de choix et de pensée, parce
qu'il le faut, quitte à ne pas connaître ses autres périodes et à ne pas savoir
que sa période bleue est bien plus belle, selon des critères personnels ou que
Juan Gris a produit une œuvre cubiste bien plus intéressante, selon toujours
des critères purement personnels encore... Mais la culture est comme
l'intelligence, elle n'est pas stable, elle fluctue selon le vécu, elle
mobilise la mémoire, et si pour une raison ou une autre, la mémoire est
affectée, défaillante, la culture va s'amenuiser en soi. On ne se souviendra
plus et l'on passera peut-être pour un imbécile dans le meilleur des cas, ou
pour un être qui n'appartient pas à l'élite culturelle dans un cas désespérant
à tout le moins, parce que cette culture, que l'on doit avoir, fait violence
aux raisons légitimes qui ont fait apparaître la culture dans l'espèce humaine
: une nécessité vitale, mais non pas sociale, bien qu'elle soit ce qui in fine a bâti et bâtira toute société
et civilisation humaine.
La culture
en soi est celle dont on a besoin pour grandir en personne, pour s'élever et se déployer en
conscience. La culture générale repose dans la société sur un statut de classe
sociétale, mais la culture particulière et personnelle engage la vie, le corps,
l'intellect et l'esprit. Ces deux cultures sont confondues, mais l'une est essentielle
et l'autre est superfétatoire. Il y a une injonction sociétale à savoir ce que
tout le monde sait ou est supposé savoir.
Même si l'on
a une culture personnelle très développée, si l'on ne sait pas une chose connue
de tous, et même si c'est parce qu'on l'a oubliée, on sera tenu pour inculte, qu'on l'ait su ou non, parce que l'on sera considéré
comme n'ayant pas le bagage requis pour appartenir à telle élite culturelle
donnée. Comme la culture personnelle est destinée à son usage propre et ne fait
pas l'objet d'un étalage social ou mondain, elle sera considérée comme
inexistante. Dire je ne sais pas,
ignorer pour une raison ou pour une autre, étant la chose la plus difficile du
monde à prononcer, car c'est avouer une défaillance sociétale qui nous
affligerait de honte, le je ne sais pas
serait alors perçu comme un déclassement sociétal plutôt que comme le signe que
si l'on ne connaît pas cet auteur c'est peut être tout simplement parce qu'il
ne nous a jamais inter-essé, il n'a jamais fait l'objet d'une transformation de
soi en soi, donc il ne nous fut pas utile au titre de notre propre élévation
intérieure : et s’il n'a pas fait autorité, puisqu'il ne nous a pas fait
grandir intérieurement, c’est parce qu’il n'y a pas eu de rencontre.
Mais dans la
même mesure, si la culture qu'il faut avoir est celle que nous avons
nous-mêmes, ne sera t'on pas toujours l'inculte ou l'idiot de
qui nous évalue à l'aune de sa propre culture et de sa propre intelligence
?
C'est dans
tous les cas une violence culturelle faite à soi ou à l'autre.
Cette
violence culturelle conduit, à travers ces slogans, à rejeter la culture de
l'humanité et à proposer une contre-culture partielle qui sera le contre-pied
d'une culture supposée obligatoire et obligée. C'est cet héritage culturel
demeuré impensé qui est ainsi renié par ce type de slogan. C'est non seulement le
fond de la pensée d'Aragon, et ce qui concerne les hommes et les femmes, mais
aussi la forme qu'il revêt pour celui qui l'entend sans connaissance de son
fond originel.
Reconduire
l'humanité à son animalité procède de la même manière en reposant la question
sans cesse renouvelée de la culture et de la nature, pour demander la fondation
d'un droit qui est culturel et le faire être naturel. Mais renvoyer la culture
en front à la nature, c'est manquer la vraie question qui concerne le devenir
de l'humanité tenant comme un même ensemble comme être de culture et de nature, la dénaturalisation en vue
de domestiquer la violence humaine ne doit pas faire oublier la nature humaine
dans ce qu'elle est de précisément non violent et créateur.
C'est
pourquoi l'éducation philosophique dès le plus jeune âge et telle que nous la
pratiquons ne suffit pas. Elle est essentielle et le nerf de la lutte contre la
violence faite à l'humanité par elle-même, mais elle doit être repensée pour
fonder en acte la capacité de comprendre le monde et de se comprendre soi-même,
selon des critères qui formeront l'esprit et l'intellect, la maturité affective
et intellective, de sorte que le formatage intellectuel que nous constatons
n'ait plus lieu et de sorte que soit libérée et formée une réelle capacité de
penser, une faculté de juger et de choisir, non plus par options possibles mais
par la qualité de l'information et la construction de critères de choix selon
un référentiel élargi et mieux élaboré.
L'apprentissage
du penser et du réfléchir ne commencent en philosophie qu'à l'Université, et
encore, ce n'est seulement que le début de cet apprentissage, c’est-à-dire l’étude
et la recherche, mais l’élaboration de la pensée et de la réflexion, qui était accessible
autrefois grâce aux thèses d’état, a malheureusement aujourd’hui disparu, en raison de la disparition de ce type de thèse. Mais avant l’université, il n'est question
que de l'apprentissage de l'élaboration de son opinion propre selon des
critères consensuels et doctrinaux, qui constituent un cadre de choix et de
jugement commun à tous, mais ne développent pas la faculté de penser et de
juger. Ceci devrait effectivement être élaboré dès l'enfance, de sorte que l'on
puisse à l'entrée de l'âge adulte, non plus émettre une opinion éclairée, mais
réfléchir à la pertinence de sa propre réflexion, en élargissant le champ de sa
conscience propre.
Si
l'éducation actuelle réintégrait cet apprentissage et ce développement de
l'intelligence du monde, comme domaine propre et privilégié de la formation de
l'esprit, et de l'acte sociétal, voire même sa raison d'être, l'apprentissage
de la pensée pourrait alors permettre la mise en place des conditions idéales
et nécessaires pour un net recul de la violence inhérente à l'être de l'humain,
et donc l'élaboration d'un droit conséquent, et éclairé par une profonde
transformation de l'humanité elle-même. Mais ceci n'est valide qu'en temps et en zone de paix.
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