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Sur le cordeau du vide habite…

Sur le cordeau du vide habite la femme, l’invisible, la première apparition disparaissante du féminin au cœur de la création et dans l’imaginaire. Homme et femme il les créa. Le silence qui accompagne l’existence de celle qui connaît le nom de dieu expose avec évidence l’imaginaire mis en acte par la première symbolisation du féminin dans la tradition judéo-chrétienne. Le féminin dès l’abord a à voir avec l’invisible, l’innommé, le silence et presque l’informe. Cette première apparition ne prendra son nom qu’une fois sortie de l’Eden, lorsqu’elle se remettra aux ruines d’Edom, où sont encore la ligne du Tohu et les pierres du Bohu. Jusqu’en sa retraite elle réfère à l’indifférencié, à cet illimité que certains grecs appellent l’apeiron, d’où surgira toute chose.
Le féminin prend forme dès l’origine à la racine de l’être, au commencement de toutes choses. Dotée d’une trop grande science de l’être, elle ne peut ni être nommée, c’est à dire exister, ni être parmi les choses, elle est dès son apparition différenciée du reste de la création. La seconde figure du féminin, Eve, sera plus sage qui aura un nom et sera moins prise dans l’essentiel mais revenant malgré elle vers la première essence de la femme qui est de dévoiler les secrets du monde en mangeant le fruit de l’arbre défendu. Cette seconde image de la féminité sera dévolue au visible, dans l’ignorance des choses de l’être à l’égal de l’homme, en apparence seulement.
La première femme générée du limon de la terre est elle remise au secret, dans ce lieu fossile où planent encore Tohu et Bohu : le féminin est très nettement lié à la matière première, à ce fond de quoi sera extrait tout ce qu’il y a, au chaos d’avant la parole divine. Mais elle est là encore dans la parole, dans le souffle divin qui informe et projette de l’esprit dans l’indifférencié préexistant, puisqu’à la racine de ce nom qu’il faudra bien lui donner, loin dans le corps du texte, loin de l’origine, il y a le vent, il y a le chant, il y a la gueule, il y a la terre. Elle n’est pas au commencement de la création, mais elle engage à contempler la parole créatrice dans sa nudité, elle en pénètre tous les secrets, moulée au souffle, elle lui fait écho et y réfère sans cesse par le vent dans la gorge et le souffle de la terre qui a nourrit son déploiement comme être humain. Mais est-elle humaine celle qui n’est pas nommée, qui n’a pas sa place dans l’être ?
Tout le retrait dans l’obscur dont elle est le jeu tend à faire d’elle une figure mythique, sans réalité, une personna empreinte de cette masculinité originaire que n’aura pas la seconde femme, qui ne sera, en apparence, que femme, par laquelle on tentera d’effacer tout l’obscur, tout le mystère qui préside à la féminité dans l’imaginaire. La première femme est une idée de femme, non séparée du masculin, elle représente l’unité de tous les contraires. Ce principe féminin contient en lui tout l’ombre et la lumière du monde. Le silence qui l’enveloppe tend à retirer du visible tout ce qu’il y a de lumière en lui, mais d’inclure l’un et l’autre indifféremment à la racine du langage montre que ce qui se cache dans ce féminin est comme ce qui s’y montre : le caché se montre en montrant qu’il se cache.
Lilith est celle en qui ne s’est pas fait la séparation de la lumière et de la ténèbre, elle les comprend en une forme homogène qui souligne son appartenance à ce jour un où furent créés d’un seul tenant les ciels la terre la ténèbre et la lumière et sur lesquels planait le souffle créateur. Elle contient tout cela dans le nom qu’on lui donne. Elle dresse en elle la ligne et les pierres de l’abîme sur lequel elle ouvre les yeux, et à peut-être ceci de monstrueux qu’elle renvoie sans médiatisation à l’origine de toutes choses, elle nous reporte au souffle même du divin, à ce sentiment du transcendant qu’il y a chez l’humain.
L’imaginaire humain porte la femme à la sève même de l’être et pose le féminin au cœur de la transcendance comme il n’y place pas le masculin. Le féminin est tout dévolu à l’origine et comporte en lui la trace vivante de la création se faisant. La femme fait écho à l’univers, elle est une pensée du monde, par ce qu’elle est, mais aussi par ce qu’elle nomme l’être inaccompli et le pense comme tel. Lilith symbolise le premier recul de la création face au créateur, elle est la première conscience qui s’exerce comme telle. Le féminin serait la première chose par quoi le transcendant se pense lui-même.
Déjà la lumière était une exclusion du divin, première chose à lui être extérieure, la première femme réactualise cette exclusion, elle est ce par quoi dieu se fait transcendant et se donne réalité, en le nommant. Elle est la vive empreinte de la différence essentielle de ce qui est et ce qui fait être et celle qui fait exister le souffle dans la parole humaine. Dieu ou le symbole pour l’humain de ce par quoi les choses sont venues à être. Le féminin est relatif à la différenciation, on en trouve la trace dans les mythes grecs pour exemple où ce sont surtout des femmes qui symbolisent l’altérité et la détermination des genres.
Lilith inclut dieu dans l’être mais l’exclut de la matière, elle lui donne ce statut original d’être à la tranche entre être et non-être, de demeurer souffle dans l’être tout en n’étant visible en nulle chose ni être, comme elle l’est elle-même, à l’image du divin, dans l’imaginaire humain, comme s’il y avait identification ontologique de l’un et l’autre dans la ressemblance, comme si, en nommant le divin, elle le rendait pareil à elle, informé de cette féminité androgyne qu’il a lui-même généré. Elle serait alors aussi ce par quoi le divin se réapproprie sa création dans une participation active. En nommant ce par quoi les choses viennent à être, Lilith s’est rendue à sa propre sacralité, elle serait la première tentative d’intérioriser dans l’imaginaire humain ce sentiment de transcendance. Qu’elle connaisse le nom de dieu montre que sa science est grande, alors qu’Adam sera ponctionné d’Eve, Lilith restera à l’état primordial, investie de sa complétude ambiguë, proche de l’origine et préfiguration de la liberté et du juste avant toute notion de bien et de mal.
Lilith porte en elle l’écho du souffle créateur, de l’esprit qui plane sur les choses, comme sa descendante Mélusine elle se fait illumination par le chant. Elle touche au divin par l’ombre et la lumière dont elle est enveloppée, et, vêtue de l’habit de lumière qui ne semble pas lui être retiré, elle exhale ce logos ‘lumière véritable qui éclaire tout homme.’[1] Proche de cette parole qui extrait l’être du chaos, Lilith se meut dans l’esprit de dieu dont elle est une pensée qui émane d’elle sous forme de lumière. Elle rappelle que tout humain est lié au souffle, trace en lui le transcendant, en développe un fragment et lié aussi à cette matière primordiale auquel il retourne.
Lilith est un pur mélange d’effroi et de fascination, et peut-être est-elle si monstrueuse parce que proche du transcendant, et que cette conscience claire et divine qu’elle représente ne laisse pas de nous effrayer, bien que dans le même temps nous ayons besoin de cette figure archétypale d’une conscience illuminée. Elle serait ce caché qui clarifie les choses dans le mouvement même de la pensée. Lilith est lumière noire, occultée à l’œil nu mais non pas à l’esprit, ni à la mesure qu’on prend d’elle. Elle serait cet autre point du regard perdu dans l’invisible indispensé du visible, cette conscience lumineuse agitatrice des âmes en repos au sein de leur infime visible. Elle ouvre le monde de toute une dimension transcendantale, de tout cet invisible qui demeure au cœur de notre ignorance. Dévoilement de l’être en sa totalité, elle nous indique la possibilité de la révolution du regard et d’une conscience augmentée de clarté. L’image du féminin que nous forgeons à travers elle est la manière dont nous requérons de nous-mêmes que soit changée notre mode de compréhension du réel.
C’est dans notre imaginaire très souvent une figure féminine qui va initier le questionnement. Le logos, nous dit Benny Lévy dans Le logos et la lettre, ‘le logos est ‘maison’, la pensée y habite. Et la maison est (…) d’abord une femme’[2]. La femme ouvre au logos, elle décille le regard et accueille en chacun la pensée de l’être qui avec la parole compose le logos. Liée à la terre, matrice des sensations, la femme par l’entremission de l’aïsthesis révèle en elle l’ordre de l’esthétique, la beauté de l’être. Et la femme propose de s’élever vers le ciel à partir de la terre, d’accéder à cette beauté intérieure portée par la transcendance, elle recèle en elle l’étendue poétique de l’être. Comme poïesis, elle est un organe de création du réel au jour le jour, mais comme initiatrice, elle se déploie à l’ombre de la philosophie, empreinte de cette sagesse qu’elle aura à diffuser autour d’elle selon le bon usage de la raison.
Lilith représente l’unité souffle corps, la parfaite union de l’esprit et du corps, pris l’un dans l’autre en une harmonie où chaque un nourrit le tout. Le pneuma est en elle la même substance que le corps. Elle évoque pour nous l’idée fondatrice de cette unité fondamentale que nous avons longtemps perdue de vue, elle ramène à notre mémoire que le corps habillé de lumière est une substance inspirée du souffle même de l’être et de l’esprit qui habite toutes choses. Lilith est l’image de cette unité d’essence oubliée dont chacun porte en lui la trace et tente en son existence de lui redonner vie.
L’unité souffle corps est le logos lui-même, pensée et être d’un seul tenant. Parménide dit ‘le même est penser et être’,[3] où l’être est ce pour quoi il y a pensée, car poursuit-il, ‘jamais sans l’être où il est devenu parole, tu ne trouveras le penser.’[4] Le logos est penser et parole, par la parole il se fera chair, par le penser il sera être. La pensée devient parole dans le lieu de l’être et n’est pas en dehors de la présence. Le logos âme du monde est une exhalaison d’être, de cet être qui est pensé et nommé dans le temps qu’il apparaît. La parole est le lieu de l’être où l’être vient dans la présence. Nommer, c’est faire apparaître. Le logos, ce qui nomme fait émerger dans l’être ce qui est penser. Ce qui nomme, la parole est ce par quoi ce qui est vient dans la présence. La parole est créatrice d’être.
Le logos est l’être-penser qui prend corps dans la présence et rien ne prend corps en dehors de lui, ‘sans lui rien’ dit le texte biblique.[5] Mais rien est déjà quelque chose qui est contenu dans le logos, comme la possibilité de ne pas se tenir dans la présence, c’est dire le non-être, ce qui borde l’éclosion de l’être, de quoi l’être vient. Ainsi, sans lui, en lui, est déjà la puissance du néant, qui est encore la puissance de l’être. Le sans chose est le silence dont provient toute chose, qui est encore pensable, ce que ne sera pas l’innommable. Le non-être contient en lui ce qui va jaillir d’être, il est, comme ce qui n’est pas dans le mode de l’être, ce qui n’est pas déposé dans la présence, il en est la ligne d’horizon, le fond obscur, le réservoir. La parole prend lieu à l’entre deux de l’être et du non-être, sur ce fond de silence où tout advient. Le non-être est pensé à partir et dans l’être, en cela il est une chose de l’être, une chose dite dans l’être, il n’existe pas, il ne se tient pas dehors, mais il est une inclusion dans l’être et se tient en lui comme un retrait. Le non-être occupe l’épaisseur de l’être, sa chair même. Il y a dans l’émergence de l’être la non-émergence comme puissance.
Le logos trouve son sens dans le terme grec legein, qui renvoie tout à la fois à coucher, cueillir, recueillir, lire et dire. Il y a dans le logos l’idée de l’étalement de l’être et du déploiement du souffle sur l’être : ‘le souffle d’Elohim planait sur la face des eaux’[6]. Le logos déplie le réel au fur et à mesure qu’il s’étend sur la masse des choses qui viennent dans la présence. Le logos déplie, il est une lecture du réel se faisant, là prend source l’intelligence du monde chez l’humain, ‘le même est penser et être’[7] dit la déesse au jeune homme, c’est lui dire qu’il ne peut être autrement que pensant l’être, l’humain est pris dans sa relation à l’être comme conscience, ou être et penser est un acte seul. Vivre dans le réel, c’est toujours déjà lire dans l’être entre les lignes de l’absence.
Le logos s’allonge dans la présence, mais il est aussi cueillir et recueillir, il est l’hôte hospitalier de la présence. Il maintient l’être dans sa générosité d’accueil et le garde près de lui au repos. Heidegger montre que cette prise en garde de l’être est une mise à l’abri dans sa propre présence de ce qui est récolté : la présence des choses étendue. C’est que le logos, dit-il, ‘amène ce qui apparaît et s’étend devant nous à se montrer de lui-même, à se faire voir en lumière’[8]. Le logos, ce qui est, est mise en lumière de la présence dans une attention qui est écoute de l’être. La pensée est ce qui prend en garde l’être, elle rassemble toutes les choses qui sont dans l’unité de l’être. Le logos, ce qui s’entend, porte au recueillement qui suit la pensée et pénètre le mystère de la présence.
Inspiré des fragments d’Héraclite, Heidegger définit le logos comme alétheia, en tant qu’il maintient le non caché comme non caché. Il retire les choses de l’obscur pour les mener dans l’éclaircie de l’être mais se dérobe lui-même dans l’action du dévoilement. L’alétheia désigne ce qui est délivré de l’occultation et qui, dans la non-occultation aspire encore à se cacher. ‘Ce qui ne sombre jamais’[9], la présence de ce qui est, c’est selon Heidegger ce qui émerge sans cesse, se dévoile continûment et se dit privation de l’oubli, venir sous la lumière.
La vérité en Grèce est privative, mais dans cette privation même réside la liberté à être, la libération de ce qui est. Alétheia est une déesse, déesse de la vérité pour Parménide, déesse des naissances pour la tradition grecque. Celle qui délivre est la suivante de Déméter qui signe le passage de la terre primordiale à la terre cultivée. Déméter est cette déesse-mère qui répand la pensée sur la terre pour la rendre féconde, elle préside aux cycles de vies et de morts, de dénuement et de renaissance. Eiletheia est celle qui vient après Déméter, récolter ce qui a été semé et le mettre à l’abri dans la présence, elle est celle qui délivre de l’obscur et liée à la clarté en ce qu’elle fait voir le jour à ce qui est présent.
La terre non cultivée, la terre en friche, figure le chaos initial, la materia prima, le passage à la terre cultivée se fait par la pensée qui est mise en elle, la terre devient féconde lorsqu’elle la pensée vient lui donner sa forme. ‘Le même est penser et être’[10] dit la déesse Alétheia, celle qui sort la vérité du fleuve de l’oubli, parce qu’être, c’est être cueilli dans la présence et la récolte ne se fait pas sans penser. Le monde selon Héraclite cité par Aetius, n’est pas engendré selon le temps mais selon la pensée[11]. L’alétheia qui ôte l’être de l’occultation récolte la présence dans la pensée de l’oubli dont elle s’est extraite. La déesse Alétheia est celle que l’on découvre derrière les lourdes portes du jour et de la nuit au delà desquels elle étend son hospitalité bienfaisante, loin des oppositions secondes et des contraires, elle montre les chemins qui mènent à elle, et, par son biais, à l’être.
La déesse accueille le jeune homme avec la générosité de celle qui préside aux accouchements des âmes avides de liberté, elle lui donne à voir les impasses du non-être, la lumière de l’être, mais surtout les dangers promis à qui, oubliant l’unité de l’être et son origine, se perd dans la diversité des choses qui sont et ainsi oublieux forge des fausses opinions sur ce qui est et dont il doit se libérer pour avancer sur la voie de la sagesse. La déesse n’est pas seulement celle qui libère l’être de l’occultation, elle est aussi celle qui tente de déraciner de l’oubli l’être carencé de lui-même à travers les choses. Le féminin, en même temps que ce qui amène à la présence est la mémoire du monde.
‘Le vrai… ce qui ne se cache pas’[12] et ce qui dégage tous les voiles aux yeux et aux oreilles étendues sous le voile de l’oubli. Socrate ne procédera pas d’une manière différente de la déesse lorsque, calquant ses procédés sur les pratiques de sa mère, sage femme, il sèmera les mots et récoltera dans le discours quelques pensées de l’être. La maïeutique socratique est proprement la culture de sa propre terre, ‘connais-toi toi-même’ pour accéder à la vérité de l’être, en fouillant la consistance de son propre sol, parce que tout ce qui fait l’être est contenu dans un seul qui est. Mais la parole socratique ne dit pas quelque chose sur l’être, elle ne dit que quelque chose de l’être, elle n’est pas la mise en demeure d’un savoir, mais la pure mise en question de l’être dans la parole créatrice. L’aporie socratique n’est que l’aporie de tout discours sur l’être, mais non l’impasse de la parole car cette parole en se déployant ouvre sur l’être et dans l’être même la puissance du déploiement.
L’alétheia est la voix de la sagesse et la voie du philosophe vers la vérité de l’être, sa libération. Le féminin ici conduit la pensée sur les chemins fertiles de la réflexion, il est dans l’imaginaire le logos lui-même, être, penser et parole créatrice. La femme symbolique est ce qui reçoit la pensée, elle est le mode d’habitation de être et penser, elle est cette figure qui recueille le penseur lorsqu’il se lance sur les chemins de l’être, elle est celle qui possède cette connaissance que d’autres recherchent. Lorsque Boèce décrit la Philosophie venant à son chevet le convertir à plus de hauteur de vues, il dit ainsi : ‘ses yeux lançaient des flammes et révélaient une clairvoyance surhumaine’[13], la vue perçante est ce que promet la philosophie.
Cette clairvoyance est contenue dans toutes les figures féminines qui veillent à l’initiation des âmes, c’est le regard de chouette des déesses celtiques ou d’Athéna, ce regard qui voit dans la nuit et sait se diriger dans l’obscur, c’est le regard de la connaissance qui accueille et brûle en même temps et donne à voir par son éclat comme le féminin habite dans la pensée de l’être, dans l’essence des choses qui sont. Le féminin est très proche de l’essentiel. Le logos qui habite la femme s’éploie dans l’extériorité par le regard dont la lumière éblouit et le corps scintille de fragments oubliés dans les creux de la chair.
Habiter. L’habit de lumière enveloppe la femme et repose en elle comme le souffle d’une pensée. Le féminin est avant tout une parole, son mode d’habiter est sis en cette parole. L’espace féminin est le lieu de la chose dite. Lilith nomme le transcendant, elle dépose la transcendance dans le nom et la fait apparaître telle dans le réel. L’habitation est dans le nom au plus proche de ce qui fait l’essence de l’être. Mais Lilith est l’innommée, elle n’est pas parmi les choses qui sont visibles, et pourtant elle comprend le nom, l’être et le penser. Elle n’apparaît pas, mais elle est l’apparaissance. Elle est la terre en friche qui promet la culture et la contient en elle pensée. Elle met l’être en lumière sans être elle-même à l’origine. Elle est l’habitation de l’être en quoi il pourra se déployer comme logos. Lilith ne devient visible que lorsqu’elle est nommée, avant cela elle est matrice, terre promise à l’humain, ce en quoi il pourra lui-même habiter, chose parmi les choses dans l’être-penser, après le nom elle se tient proche de l’origine, de ce chaos matriciel qu’elle évoque.
Le féminin est ce qui enveloppe le réel, ce qui permet à la pensée et à l’être de s’étendre, il est l’espace symbolique dans lequel se meut l’humain, posé par l’omniprésence du féminin à l’origine, terre mère, déesse mère ou déesse terre. Terre chaotique, terre non pensée, terre travaillée, adamah, la terre dont haadam est fait, âme vivante. La déesse apporte la matière première et les moyens de l’exploiter, elle représente dans le même temps le corps en friche et sa spiritualisation par l’action de la réflexion, et au-delà la clairvoyance. En cela, elle est celle qui ouvre à l’altérité. Elle est ce qui appelle en soi l’altération de son être et reçoit sa complétude de cette altération même. Elle pose l’être dans le devenir, accueille chaque déclinaison altérante telle une partie d’elle-même qui va la continuer dans l’être. Elle invoque le faire être, le faire en tant que différenciation de l’apparu premier.
Le féminin est à double titre poétique, en tant qu’émergence unifiante de l’être pris dans une pensée, et son altération dans les choses qui sont. Le féminin augmente et discrimine la portée de l’être et se pense comme le lieu de l’éclosion : elle permet le jaillissement hors de l’enclos. Ainsi le féminin habite dans l’ouvert, dans ce qui ne cesse de s’ouvrir, à l’unité comme au divers.
 


[1] Jean 1-9
[2] Le logos et la lettre,  Benny Lévy, Verdier, Lagrasse, 1988, p.54
[3] Fragment B.II, Le poème, Parménide, édition présentée par Jean Beauffret, Épiméthée, Puf, Paris, (1955), 1991, p.79
[4] Idem, p.87
[5] Jean 1.3
[6] Genèse, 1.2
[7] voir supra, note 1 p.73
[8] Essais et conférences, Martin Heidegger, Tel, Gallimard, Paris, (1958), 1996, le logos, p. 257
[9] Fragment B. XVI, Héraclite, Folio essais, Gallimard, Paris, 1991, p.70
[10] Fragment B III, Le poème, Parménide, Épiméthée, Puf, Paris, (1955), 1991, p.79
[11]Fragment A. X, Héraclite, Folio essais, Gallimard, Paris, 1991, p.58
[12] Idem, Fragment B IIa, p.66
[13] Consolation de la philosophie, Boèce, Rivages poche, Rivages, Paris, 1989, p.46


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