C’est un tout petit coup de
genoux dans les tibias de Heidegger. J’adore la pensée de Heidegger, je suis
arrivée à Heidegger par le bouddhisme tibétain, et Heidegger m’a reconduite au
bouddhisme japonais, mais pas seulement, au judaïsme aussi : les pensées
de l’origine sont les mêmes pensées, le langage, la manière, le vocabulaire,
tout change d’une culture à une autre, mais les pensées qui sont exprimées sont
les mêmes, car le fond est humain.
Heidegger a pensé très précisément
et profondément le concept d’Aléthéïa, ce dévoilement qui offre au regard des
êtres humains une vérité éternelle qui se cache sous le voile de l’oubli, et
sous la disparition de son propre contenu, obscurci et voilé par les limites de
notre intellect.
Mais Aléthéïa était une déesse,
et Heidegger a voulu l’oublier, et ce n’était pas utile de l’oublier, ainsi,
parlant de la vérité comme oubli et voilement, il a oublié et voilé le nœud même
du sens de la vérité, qui est donnée comme féminine dans les traditions
anciennes.
En hébreu Aléthéïa se dit Lilith,
une autre femme, considérée comme un démon, par la tradition tardive, parce qu’elle
dévore zakhar, le "mâle", à la naissance, mais zakhar en hébreu signifie aussi la
« mémoire », et dévorer la mémoire du mâle, ce serait, à première vue, dévorer la réminiscence
de la vérité : remettre dans l’oubli cette vérité, et la voiler au regard
des hommes, non, mais alors pourquoi. ?
Parce que la tradition et la
transmission du savoir dans le judaïsme et ce jusqu’à des temps récents étaient
réservées aux hommes, et que les humains se tromperaient de vérité ? Je ne pense pas. Parce que
la femme transmet l’être même, la judaïté, et donc une vérité restée ignorée
par les humains, voilée d’oubli par la non réminiscence de ce
que cache cette vérité de l’être ?
Si c’était cela, pourquoi
retrouver la même figure d‘Aléthéïa dans la tradition grecque, et si c’était
cela, pourquoi une déesse du dévoilement ? Dans la tradition grecque,
Léthé est ce fleuve légendaire qui sépare le monde des morts du monde des
vivants, lorsque le vivant meurt, il traverse ce fleuve, et Léthé signifie « oubli »,
en grec, passer le fleuve de l’oubli, c’est oublier de soi le vivant, pour la
vérité qui se donne dans l’autre monde, jugée plus authentique par toutes les
traditions.
Alors peut-être, cet oubli serait
l’oubli nécessaire de toute forme de vie, lorsqu’elle se fait vie. Heidegger n’a
pas voulu opérer des études sur la mythologie de l’être, de la vérité et de l’oubli,
du dévoilement de cette vérité qui se donne à même ces eaux du fleuve que l’on
traverse : il voulait faire œuvre conceptuelle, expurgée autant de
théologie que de mythologie, et il a traduit la mythologie et la théologie en
des termes conceptuels et philosophiques.
Mais le bouddhisme nomme aussi
cet oubli, dans sa notion de « bardo », ce lieu hors vie où se
définit le destin des consciences. Alors, pourquoi lier la vérité de l’être, le
dévoilement au côté du féminin, et l’oubli de l’être, le voilement au côté du
masculin, dans ces deux traditions ?
Lilith, est lalala, le chant, et dans
le judaïsme, le chant refermé par le thav, le sceau divin, le chant de Lilith
est refermé dans le sceau divin, par celui-ci, et nous savons d’après la
tradition que Lilith connaissait et nommait le nom de Yhwh, elle chantait le
nom de Yhwh, elle savait le prononcer, elle était donc la symbolisation de l’éveil
suprême.
Dans la Torah, Lilith fut
remplacée par Ève, on sait que la première occurrence renvoie à Lilith, « homme
et femme il les créa », Haadam et Lilith, donc, et que la seconde
occurrence renvoie à Ève, à partir du côté féminin d’Haadam.
Et l’on sait qu’Adam ne devient
Adam qu’au terme de la naissance de son troisième fils, Sheth, pas avant, où tout ce qui se produit est symbolique. Et l’on
sait qu’avant, Haadam signifie l’espèce humaine, et non un être singulier, non pas un homme. Donc
l’on sait que Yhwh créa l’espèce humaine plus une femme, qui connaît et chante
le nom de Yhwh, et dont le nom est Lilith, qui signifie donc « le chant du
sceau de Yhwh ». Une femme qui a elle seule est le chant de Yhwh.
On sait aussi que cet Haadam,
cette espèce humaine, contient ces deux genres et que celle qui est
différenciée et extraite en premier de cette humanité, c’est Ève, et l’on
sait que c’est la gestation créatrice et le naissance de Sheth qui fait du
masculin un être singulier nommé alors Adam. Dans le texte, le ha qui précède Adam disparaît.
Donc, on peut déduire que pour le
judaïsme, la femme prime sur l’homme, la transmission des femmes, et du féminin
prime sur la transmission de la connaissance masculine. Pourquoi? Et l’on sait que dans
le judaïsme, le féminin, en tant qu’Ève, est la raison vivante, la philosophie,
donc, et porte sur le mih, le « qui » en hébreu, et donc sur l’identité
de Yhwh, puis du vivant, et dont la femme est porteuse, tandis que le masculin porte sur le mah, le « quoi » en hébreu, qui renvoie à la quoddité
du réel, de l’être et du vivant. L’une questionne le qui, l’autre questionne le
quoi, et le qui vient avant le quoi, dans la Torah.
Donc on peut déduire, que la
transmission de la vérité de l’être porte sur l’identité du divin dont est porteuse le feminin, et que la transmission masculine portant sur le
questionnement du réel est dévoré par le dévoilement, dans le réel, et sous la
forme d’une femme, de la vérité et de l’identité du divin, et partant du vivant.
Ainsi, Lilith n’est pas un démon
qui dévore le mâle en vain, elle forme un daïmon: elle dévore l’oubli du qui et dévoile les erreurs
du quoi, et elle renvoie le masculin du côté de l’essence, le qui, et non de l’existence, le quoi.
Lilith est cette chanteuse de
Yhwh qui vient dévoiler dans le vivant la vérité de l’être, cet être qui est
dieu, sous sa forme féminine. Le judaïsme est révolutionnaire, et la tradition
grecque l’est aussi, sous son ancienne forme, qui nomme cette philosophe
Aléthéïa, et cette chanteuse Pistis Sophia, la chanteuse éternelle qui vient
redonner au vivant les vérités éternelles et qui erre dans le monde de n’être
jamais entendue, et qui erre dans le monde mue par la nécessité de faire
émerger de l’oubli et de l’accoutumance à la vérité de l’être édulcorée, sa
saveur originale, originelle, et son essence.
Et lorsque Heidegger disait que l’essence
de la vérité est la vérité de l’essence, dans les traditions anciennes cela
signifiait, que la nature de la vérité est d’être la vérité de l’essence même
de l’être, et qui est un chant, un poème, un son primordial qui se rappelle à
nos oreilles et à nos entendements.
Alors, presque, Lilith ou Sophia,
ou encore Aléthéïa, sont le chant de l’être dans l’esprit, qui dévore les
erreurs forgées par l’ignorance et l’oubli dans l’entendement.
Ainsi, tant chez Heidegger que
dans le judaïsme ou la tradition grecque, l’entendement est ce qui empêche l’esprit
de se déployer, l’intellect voile l’esprit, et l’esprit se rappelle à l’intellect,
Heidegger parle alors de raison méditante, l’esprit, et de raison calculante, l’intellect,
et la vérité de l’être est du côté de l’esprit, non de l’intellect.
Et c’est en ceci que l’on rejoint
le bouddhisme et toutes les traditions méditantes de l’humanité, cultiver son
esprit, et non son intellect, et se servir de l'intellect pour atteindre l'esprit, sauf lorsque l’intellect se laisse dévorer par l’esprit, pour atteindre ce grand éveil suprême que
représente Lilith, et qui est, seulement, le chant pur de l’être, le chant du
vide, émergé du champ de l’oubli, pour chacun, hommes et femmes, humains. Ainsi, dans
ces traditions, les genres sont des fonctions, ils représentent des usages complémentaires et rationnels de l'esprit ou de l'intellect. Là encore, le genre symbolise la vie de l'esprit et de l'évolution de cet esprit, depuis la formation de la rationalité de l'intellect, jusqu'au développement de l'esprit lui-même.
Le véritable grand éveil est donc,
par ces traditions, considéré comme le pur chant de l’être, du vide, ou du
divin. C’est pourquoi en philosophie, il faut parfois avoir recours aux mythes,
aux légendes, et autres théodicées, pour comprendre des termes ou des concepts
qui paraissent compliqués et singuliers à leurs auteurs, tandis qu’ils ne le
sont pas: la pensée est la chose la mieux partagée du monde, et si la manière
et le langage diffèrent, le chant, lui, est toujours le même, fait de beauté et
de vérité.
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