Nous tissons
l’espace qui nous tisse, nous tissons le temps qui nous tisse, nous tissons la
matière qui nous tisse, et ainsi de l’esprit, de la lumière, de l’énergie, de
tout ce qui dans le réel nous fait être corps pensant, et que dans la danse
nous incarnons car l’humanité entière danse et se pense. Ce tissage est rendu
conscient dans la danse, il est déconstruit, compris, puis recomposé, pour
produire une écriture singulière faite de la lecture des acteurs de la danse.
Ce tissage de la matière par l’esprit, de l’esprit par la matière est
proprement humain.
Espace, spatium, signifie étendue, nous sommes
une étendue pris en une autre étendue, etc. Le corps est spacieux. Et distance.
La danse instaure une distance entre le corps et son mouvement. Une conscience
du corps se fait jour dans cette distance. Une conscience des étendues qui nous
fondent. Même dans l’improvisation le mouvement n’est pas spontané, il est
réfléchi, fut-ce sans conscience de l’esprit, réfléchi par la conscience du
corps et de ses limites.
Effacement de
l’espace, soit en le vidant de corps, soit en le contenant dans le corps,
ritualiser l’espace, quand le rite en passe par le geste créateur. Nous sommes
tissés de l’espace qui se tisse en nous. Et la danse, à force de le structurer
en et hors de nous l’efface. Il s’agit toujours de construire l’espace de tel
sorte qu’il apparaisse non construit mais naturel, comme une maison ou un
temple shintoïste japonais.
La danse se
commence dans l’effacement de l’espace, c’est l’instant, sublime, où la
personne cesse d’être elle-même pour devenir corps dansant, anonyme, dans un
silence qui ritualise la forme, qui forme la ritualisation même du corps, une
pause dans le flux du monde, un flux d’existence qui vient de surcroît aux flux
d’existences déjà là, lorsque le ‘il y a’ de la danse se fait présence. Sans ce
profond silence du corps, nulle parole ne pourrait émerger, et c’est à l’espace
que revient de se faire la matrice de ce silence, traversant le corps comme son
lieu même.
L’effacement de
l’espace au profit du silence en passe par l’écoute concrète de soi. Construire
l’espace revient alors à faire jouer les plans, les perspectives, les
dimensions, de telle sorte que l’espace devienne l’espace-plan. Plans de
visions et du toucher lointain à l’autre, où l’espace lui-même émerge de
l’infime instant où le danseur lui prête son corps pour l’incarner puisque le
danseur lui-même est une construction.
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