Personne ne pense, au sens strict, quand "je" pense, mais ça pense à travers moi, en moi, ça me traverse comme une chose qui me fait être penseur, et qui me destine à la pensée... La pensée est un risque que l'on ne prend pas, mais qui nous appréhende, et que l'on goûte, comme un potentiel qui se déploie de lui-même... Alors avoir ce courage de se saisir de la pensée et d'en inscrire le déploiement dans la matière...
La crise de la pensée en France à l’heure actuelle, qui est une crise profonde, fait l’objet d’un déni de la part de ses protagonistes mêmes, on peut même lire en effet que la pensée ne s’est jamais si bien portée que maintenant, et pourtant, il y a une réelle crise de la pensée, quelque soit son domaine de compétence ou d’application.
La pensée ne pense plus, mais que
signifie penser ? On ne sait pas. Tous pensent penser et ça ne pense pas, en nous, à travers nous, ça ne met pas en œuvre une réflexion intelligente, logique, intuitive, qui viendrait
donner un sens et un être au réel.
Par tous les temps, la pensée
s’est menée avec l’autre, contre une inhumanité patente, et avec humanisme,
avec cœur, la pensée ne se faisait pas sans hospitalité pour l’autre, sans
accueil de ce qui est autre, ni sans valeur éthique qui mêlait la différence à
la différance, la pensée était, est toujours,, un acte éminemment éthique.
Aligner, créer, déconstruire, bâtir, réfléchir les concepts ne fait pas œuvre de pensée si le sens qui est donné au
réel est donné sans autre.
Penser ce n’est pas seulement ceci
qui échappe à la cognition, le dit de la beauté d’un arbre, ni seulement ce qui
donne du sens, ni seulement ce qui fonde la rationalité, penser se fait à la
charnière du sens et de l’esprit : penser, c’est agir le monde en soi. Le
faire être, mais penser n’est pas que ceci, car aujourd’hui la pensée,
représentée par la couche intellectuelle de la société ne fait rien être qui ne soit déjà, ne
donne du sens qu’à l’immédiateté, à l’anecdotique, et ne donne vie qu’à une
forme de touches impressionnistes listant notre faible réalité, penser ne se
fait plus, penser ne crée plus du réel, de la réalité, penser ne fait plus être l'être.
Les philosophes eux-mêmes ont
semble t’il déserté le champ de la pensée pour errer dans les terrains vagues
d’une actualité toujours plus éloignée de l’humain. Penser c’est aussi décrire
le monde, se décrire soi-même, non en tant que singularité, mais en tant que
l’on dégage de soi le fond humain de cet être qui est humain.
La philosophie décrit les
phénomènes de l’esprit, du réel, de notre réalité, mais la décrit de sorte que
seule, mais toute l’humanité, en son fonctionnement tout humain, dans son
référentiel propre, puisse s’y reconnaître.
Aujourd’hui, la pensée a laissé
lieu et place à la réactualisation des anciens, de cette pensée inactuelle qui
rejaillit sur nous dans son actualité propre, mais notre pensée ne produit plus elle-même cette chose
dont on dira là, qu'il y a pensée, ça pense.
Alors que signifie penser en un
monde où l’on n’accueille pas l’autre, où aucun penseur ne se dégage qui
viendrait donner du sens à ce qui en perd chaque jour : notre réalité, on
ne sait plus.
« Plus riche est une pensée,
plus riche est son impensé », disait Heidegger, mais ce que l’on constate aujourd’hui, c’est
une absence de profondeur de d’impensé, une pauvreté réelle de la pensée qui
s’avance comme pensée absente.
Ce sera toute l’activité
philosophique du siècle à venir, que de savoir et comprendre, décrire ce que
penser veut dire, afin de retrouver le goût même de penser, afin que de la pensée
revienne mettre du sens sur notre être au monde, notre société à venir, et
accueille de nouveau l’autre quelque soit sa forme, car une pensée qui
n’accueille pas l’autre n’est pas une réelle pensée.
Mais ce que l’on peut dire, c’est
qu’il n’y a pas
de pensée sans humanité, ni d’humanité sans pensée, sans autre. Car penser c'est être autre.
Objection I :
Est-il possible, in vivo, de posséder le recul et la distance
nécessaire, en une époque donnée, pour voir, penser, ressentir la pensée qui se
donne et qui se joue à son époque propre, rien n’est moins certain.
La pensée qui se fait à travers
les âges semble bien plus être indiscernable à son époque propre, ainsi nous
croyons qu’il n’y aurait pas de pensée, mais il s’agirait de voir la pensée où
elle se fait, non dans le domaine public, mais dans le domaine privé.
Chaque époque, à ce qu’il semble,
connût ses étoiles pensantes, mais nous savons de manière certaine que les
gloires du présent s’effacent dans l’histoire qui ne retient que la pensée
propre de l’époque, au travers de personnes inconnues ou peu connues en leur
temps.
Ainsi, que nous ne pensons pas,
serait la partie émergée de la pensée qui se ferait elle-même impensé de son
époque.
Par contre « que nous ne
pensons pas encore », comme le disait Heidegger, si elle est une chose
certaine à un niveau actuel, ne saurait confirmer que nous n’avons pas encore
pensé : que nous ne sachions pas réellement ce que penser veut dire,
puisque penser est un concept comme l’espace, le temps, l’être, le vide, qui se
comprend aisément à se parler mais se fait tout d’un coup bien obscur lorsqu’il
s’agit de définir la chose auquel renvoie le concept, ainsi, que nous ne
sachions pas réellement ce que penser veut dire, ne signifie par qu’il n’y ait
pas une pensée qui se fasse en soi, presque sans « moi », presque
sans idée claire et distincte de ce qui est en jeu lorsque nous réfléchissons à
un objet.
Ainsi personne ne saurait dire
vraiment d’une époque qu’elle ne pense pas, sachant que la pensée de cette
époque se fera toujours dans les interstices d’un prêt à penser, ou de ce que l’on
croit être tout simplement la pensée de cette époque.
Immergés dans notre époque, nous
ne pourrions qu’avoir l’espoir que quelque chose se pense à travers nous, à
charge de notre descendance de dire qui et quoi s’est effectivement joué dans cette
époque.
Mais ceci n’enlève rien au fait
qu’effectivement, ce cela qui pense n’est au fond personne, s’il est vrai que
ce qui se joue en nous est bien justement cette pensée qui se fait à travers
nous, et qui pour le coup se révélerait être notre propre impensé. Ainsi la
pensée de demain serait l’impensé d’aujourd’hui.
Objection II
Objection II
Par ailleurs la crise de la
pensée à l’heure actuelle en France est peut-être bien le signe de la limite
que notre pensée occidentale trouve dans sa réalisation entière et radicalisée :
nous aurions atteint les limites de notre propre pensée, de notre propre
réflexion, de cette réflexion que nous menons depuis 2000 ans sur un mode qui
nous est propre.
Thobie Nathan disait dans une
interview que la psychanalyse était une excellente chose, mais que s’il fallait
approfondir, elle se montrait alors sans profondeur, elle manifestait donc par
elle-même ses propres limites.
L’impensé de notre époque serait
alors peut-être que la forme « toute rationalité » et « toutes
sciences exactes » que nous avons déployés porterait en soi sa propre
limite, et ayant atteint cette limite, ce serait la pensée occidentale elle-même
qui serait en crise.
La recherche de formes de
psycho-analyses, de philosophies, de pensées, et de concepts venus d’ailleurs
serait alors la manifestation de la nécessité que nous ressentons à remettre
notre pensée dans un flux qui ne soit pas stérile.
Longtemps nous avons voulu croire
que seule notre manière de penser était philosophique, mais depuis la seconde moitié du vingtième siècle, et surtout depuis une trentaine d'années ,
la famille de la philosophie s’ouvre à l’ailleurs, à l’autre, on tente de
comprendre la psychologie indienne, qui elle ne manque pas de profondeur, on
tente de comprendre et d’intégrer les phénoménologies de l’esprit et de la
matière du bouddhisme, on commence à voir en quoi la philosophie nahuatl est à
proprement parler philosophique, etc..
Nous sommes peut-être à une
époque charnière où notre pensée se confronte et apprend l’autre, apprends de l’autre
quelles étaient justement nos limites, et pourquoi nous les avons atteintes si
rapidement. Ce seront bientôt toutes les sciences qui se confronteront à des
philosophies et des pensées qu’il n’y a pas si longtemps nous nommions « exotiques ».
Car c’est en elles que notre
propre pensée pourra retrouver son souffle, son flux, et son existence. Et dans
certains cas, qu’elle pourra retrouver le goût de se laisser traverser par une
pensée plus originale, nourrit non pas aux philosophies d’ailleurs, mais à ce
qui inspira ces philosophies d’ailleurs, une pensée plus profuse, parce que
venue du vide, de l’ainsité du réel et de notre réalité, ou de tout autre chose.
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